2015 St-Jean FrederiquePar Frédérique St-Jean

Hier, vendredi 26 juin, la Tunisie a été ébranlée par un attentat terroriste qui a fait, à ce jour, 37 morts. La cible : la plage d’un hôtel touristique. Cet incident fait suite à une tuerie qui s’est produite au musée du Bardo il y a près de trois mois faisant 22 morts. Ces deux évènements ont en commun leur cible : les touristes, des occidentaux. Le message que cette similarité révèle est bien clair. Les djihadistes s’opposent à la modernisation de la Tunisie, qu’ils qualifieraient d’ « occidentalisation ». Ils s’opposent au fait que la Tunisie a réussi avec succès sa transition démocratique, que la charria n’est pas appliquée par l’État, que les standards qu’imposent la religion sont imposés de façon libérale. Le meilleur moyen de faire payer la Tunisie pour ces changements non-souhaitables est de s’attaquer à un secteur vital de son industrie et à son point de contact direct avec l’Occident: le tourisme. C’est aussi, tristement, le meilleur moyen d’assurer que l’incident fasse les nouvelles partout dans le monde.

Cet attentat a ébranlé les Tunisiens, tout comme le dernier. Ces gestes de violence sont en effet en parfaite contradiction avec leur nature et leur identité. Au cours des prochains paragraphes, je tenterai de vous dépeindre le portrait du peuple tunisien, un peuple que j’apprends à aimer, pour illustrer à quel point ces évènements ne sont pas représentatifs de la situation du pays.

Les Tunisiens et Tunisiennes ont une joie de vivre contagieuse. Ils aiment la musique, la danse, rire, manger, chanter et danser. Ils aiment leur café bien fort, leur thé à la menthe bien chaud et leur baguette de pain fraichement sortie du four. Durant le mois de ramadan, chaque soir, ils se rassemblent dans les étroites rues de la médina, la vieille ville, pour fêter la rupture du jeûne. Entre amis, en famille, jeunes et moins jeunes se réunissent pour célébrer. Des spectacles sont offerts à presque tous les coins rues. C’est à peine si l’on peut marcher à travers les étroites rues cintrées par les maisons blanches aux accents bleus. Le ramadan, tradition qui peut sembler complètement insensée pour un étranger, est un moyen de rapprocher les familles et les communautés, de donner au prochain, de bâtir une solidarité qui les aide à affronter les moments plus difficiles de leur quotidien.

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Les rues de la médina

Les Tunisiens et Tunisiennes sont ouverts d’esprit. La religion est pourtant encore bien ancrée dans leurs mœurs. La plupart ne boivent pas d’alcool, font le jeûne durant ramadan, ne mangent pas de porc et vivent avec leur famille jusqu’au mariage. L’appel à la prière peut encore être entendue à travers toute la ville cinq fois par jour. Or, ce qui est admirable chez les tunisiens est que chacun est libre de choisir la façon dont il souhaite pratiquer la religion. Ils m’ont expliqué que la relation entre dieu et un individu et la façon dont ils entretiennent cette relation ne regarde qu’eux. Il n’est ainsi pas rare de rencontrer au sein d’une même famille, d’un même groupe d’amies, une fille portant le voile et l’autre pas, l’une priant plusieurs foispar jour et l’autre pas.  Elles seront pourtant toutes aussi soucieuses d’être à la mode : les femmes portant le voile agençant parfaitement cet accessoire avec leurs souliers ou encore leur sacoche. Chacun se respecte dans ses choix religieux et c’est remarquable.

Les Tunisiens et Tunisiennes tiennent à leurs droits et ils sont prêts à lutter pour les défendre. La Tunisie a probablement l’une des sociétés civiles les plus actives que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Les organisations non-gouvernementales se sont mises à foisonner après la révolution et elles mettent la main à la pâte pour aider les plus démunis et pour promouvoir l’égalité. L’un des cafés de la ville est d’ailleurs surnommé le café des « NGO », illustrant que suffisamment de gens travaillent dans ce domaine pour remplir un café à semaines longues. Il est d’ailleurs assez commun que les jeunes soient actifs au sein de ces organisations. Les libertés civiles sont de mieux en mieux respectées, bien que certaines limites à ne pas franchir existent encore.

Photo groupe aswat

L’équipe d’Aswat Nissa

 Les Tunisiens et Tunisiennes aiment la politique. Ils sont fiers d’avoir réussi leur transition d’un régime autoritaire à un régime démocratique de manière pacifique. Ils sont fiers d’appartenir à ce pays stable et moderne situé dans une région où la stabilité politique est périlleuse et où la religion prend des tendances de plus en plus extrémistes. Il y a plus de 100 partis politiques enregistrés, c’est-à-peine si l’on peut s’y retrouver. Les Tunisiens discutent de santé, d’éducation, d’économie, suivent l’actualité et imaginent un futur meilleur. Ils sont prêts à collaborer pour faire avancer les enjeux qui leur sont chers. Au cours du projet de l’Académie politique des femmes organisé par Aswat Nissa, l’association où je travaille, des femmes provenant de partis politiques différents, de droite et de gauche (le gap est grand, je vous l’assure), ont été capables de collaborer durant une année entière pour faire avancer la cause des droits des femmes. Elles ont dépassées leurs préjugés pour faire de la Tunisie un monde meilleur. Même si leur Parlement ne réussit pas à faire des changements aussi rapides et efficaces qu’ils le souhaiteraient, les tunisiens croient en son pouvoir et surveillent attentivement son évolution afin de protester si la situation se détériore.

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Les femmes de l’Académie au travail

 En somme, les Tunisiens forment un peuple incroyablement ouvert d’esprit, chaleureux, éduqué et brillant; un peuple plein d’espoirs envers un futur meilleur. Les tunisiens sont arrivés à définir une identité qui est en accord avec leurs racines islamiques et qui est pourtant tournée vers l’avenir, vers le monde. Ils sont fiers d’être tunisiens et ils ont raisons de l’être.

Il est certain qu’il reste encore du travail à faire afin de rendre ce pays totalement égalitaire et respectueux des libertés civiles. La patriarchie est encore présente de façon intangible au quotidien. Les hommes sont toujours plus nombreux que les femmes dans les endroits publics : les cafés, les plages, les spectacles, ce qui révèle que les femmes sont, pendant ce temps, à la maison entrain de prendre soin des enfants et de l’entretien ménager. Les hommes vous dévisageront d’ailleurs sans gêne dans les rues et vous passeront des commentaires plus ou moins adéquats s’ils vous trouvent joli. Les inégalités entre les riches et les pauvres sont marquées. Le contraste entre les villas à couper le souffle de la banlieue Nord de Tunis, et le centre ville où la vie va à mille à l’heure et où les rues sont sales et puantes est marqué. Le Parlement est loin d’être efficace et neutre, les derniers projets ayant fait l’objet de délais indus. Les élections municipales prévues tardent à venir, tout comme le projet de loi sur la décentralisation qui créera ces institutions. Les défis sont nombreux. Or, les tunisiens ont tous les outils pour les surmonter.

J’espère que ce portrait vous donnera envie de découvrir ce peuple et de venir visiter ce beau pays. Les attentats sont de tristes évènements provenant d’influences extérieures nullement représentatives de la culture tunisienne. La Tunisie n’est malheureusement que l’une des nombreuses victimes de l’islam extrémiste et du terrorisme, joignant les rangs de la France, du Koweït, qui ont aussi été victimes d’attentat durant la journée d’hier, et de bien d’autres états. Je vous invite à ne pas tourner le dos à Tunisie, à y affluer pour découvrir sa beauté et pour aider les tunisiens à bâtir le pays dont ils rêvent.