En ayant passé près de douze semaines au sein de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, j’ai eu la chance d’être témoin d’un vaste amalgame de dossiers qui passent dans les bureaux de la Commission. En effet, je crois que mon dernier blogue témoignait de mon ébahissement devant l’ampleur et l’étendue des questions qui peuvent découler d’un dossier en droits de la personne! J’ai plus récemment eu la chance d’approfondir mes connaissances en matière de preuve de réputation et d’exclusion de la preuve dans un dossier, appelons le dossier X, pour lequel j’avais eu la chance d’assister aux interrogatoires et contre-interrogatoires de certains témoins lors du procès. Ces expériences m’ont conduite à revisiter les débats qui avait eu lieu au sein de mon cours de déontologie en hiver dernier. En effet, sans pour autant statuer sur l’étique d’un type de plaidoirie en faveur d’un autre, j’ai pu assister parfois avec incrédulité quant à la tournure que pouvait prendre les plaidoiries. Ces réflexions sont évidemment informées par le contexte particulier des droits de la personne où les victimes sont souvent vulnérables et où leurs expériences de trauma les rendent plus susceptibles de vivre une re victimisation lors de leur expérience au sein du système de justice. Par la nature accusatoire du système de justice canadien, il est bien difficile de se séparer d’un système créer pour antagoniser. Je peux cependant reconnaître l’utilité, en certains cas, d’un plaidoyer rigide, agressif parfois, qui ne laisse rien passer. Au sein de ses expériences avec le dossier X et autres et grâce aux questions et réflexions apportées par la Prof. Guilbault lors de mon cours de Déontologie, j’ai pu reconnaître la pertinence d’une approche informée sur le trauma au sein du travail d’avocat.e. J’en parlerais plus loin.

En droits de la personne, surtout en matière de biais et préjugés inconscients, je doute, à première vue bien évidemment, quant à la pertinence d’un système accusatoire où un jugement qui déclare coupable une personne qui, bien que fautive, se croyait de bonne foi et qui perpétuera indéniablement un sentiment de honte au sein de celle-ci. Similairement, l’humiliation et la honte sont deux émotions régulièrement soulevées par les victimes de profilage. Sur les sentiments de honte et d’humiliation, une de mes auteurs préférées, Brené Brown, énonce dans son plus récent ouvrage[1] :

When feeling shame, our inward focus overrides our ability to think about another person’s experience. We become unable to offer empathy. We are incapable of processing information about the other person, unless that information specifically pertains to their view of us.

Similairement sur l’humiliation :

Humiliation can trigger a series of reactions, including social pain, decreased self-awareness, increased self-defeating behaviour, and decreased self-regulation, that ultimately lead to violence.

Indéniablement, les personnes qui ont causé des violations des droits de la personne doivent être tenus responsable pour leurs manquements. Cependant, tels que soulevés par Brown, l’expérience d’un sentiment de honte et d’humiliation par une personne empêche celle-ci d’entrer en connexion avec la personne dont elle a discriminé. Cependant, afin d’attaquer les stéréotypes et préjugés au sein de la discrimination, un changement de culture et de mentalité doit s’opérer par un processus de responsabilisation et je doute qu’un système accusateur en soit la solution. Ses réflexions s’appliquent plus particulièrement au contexte de profilage et sur l’intensification des litiges entre la Commission et divers services de police dans les dernières années. Prenons par exemple la récente permission d’appeler demandée par deux policiers de la ville de Gatineau qui ont été reconnus de profilage racial dans Lambert c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba)[2]. Bien qu’une partie puisse tout à fait porter en appel une décision du Tribunal des droits de la personne, il est curieux de noter que ce sont les policiers eux-mêmes, et non la Ville de Gatineau, qui portent en appel la décision. Cependant, ses réflexions sur le système accusateur et le type de plaidoirie à adopter s’appliquent certainement moins dans un contexte de crime de guerre ou de crime contre la personne. Lorsqu’une personne cherche sciemment à violer les droits fondamentaux d’une personne, l’approche doit être tout autre.

Au sein de ses réflexions, je crois donc qu’une approche basée sur le trauma peut et doit s’appliquer en toutes circonstances[3]. Il serait donc intéressant qu’autant les tribunaux que les acteurs amener à agir au sein du Tribunal des droits de la personne soient obligés d’appliquer une approche basée sur le trauma au sein de leur travail. L’espoir donc d’une approche basée sur le trauma serait de briser le cercle de violence, d’humiliation et de honte créé par les violations de droits de la personne et d’amener les personnes responsables pour celles-ci à se responsabiliser et à se corriger en vivant un sentiment de culpabilité[4] plutôt qu’un sentiment de honte et d’humiliation. Tel que souligné plus haut, les sentiments de honte et d’humiliation empêche une personne de se questionner sur son comportement passé tout en vivant un sentiment d’empathie pour la partie victime. La personne fautive se sent plutôt victime et mécomprise par le système. En mon humble opinion, l’application d’une approche basée sur le trauma ne ferait qu’adoucir le processus de litige au sein du tribunal des droits de la personne autant pour la partie plaignante que la partie défenderesse en diminuant les risques de re-victimisation. Subsidiairement, ce sont les représentants des parties qui en bénéficieront. En effet, une approche basée sur le trauma bien appliquée s’assure aussi de maintenir les professionnels impliqués dans le dossier en situation de sécurité face au trauma vécu par leur clients.

Tout comme le système de droit de la personne doit s’adapter au contexte socioculturel et aux besoins des victimes présent en son sein, il est tout autant important d’apprendre à se connaître soi-même pour pouvoir y travailler. En effet, lorsque je suis revenue du bureau en larmes puisque j’avais passé la journée à lire de jugements de pédophilie, d’inceste et de violence intra-familiale pour un mandat en jeunesse, j’ai su que je ne serais jamais capable de travailler auprès des enfants. J’ai aussi appris grâce au contexte particulier de mon stage qu’un travail un peu plus dynamique en interaction avec autrui serait probablement important pour moi. Étant stagiaire au sein d’un organisme parapublique qui a aussi des stagiaires du barreau, mon travail a principalement été d’effectuer des recherches sur des questions juridiques plutôt que d’intéragir avec des clients. De plus, puisque la Commission comporte aussi un département de recherche en droits de la personne, j’ai pu témoigner du plein spectre d’emploi en droits de la personne; de l’avocat.e en litige à la recherchiste en passant par l’enquêteur.e, les emplois en droits de la personne sont vastes et variés.

S’il y a une chose que j’aimerais partager avec ce blog, c’est qu’après avoir passé un été entourée de personnes généreuses, drôles et bienveillantes, je peux affirmer que le droit de la personne est entre bonnes mains!


[1] Atlas of the Heart: Mapping Meaningful Connection and the Language of Human Experience. First edition. New York, Random House, 2021.

[2] 2023 QCCA 870.

[3] Pour en apprendre plus sur l’approche basée sur le trauma, « trauma-informed lawyering », les pratiques sensibles aux trauma, je conseille de consulter https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/securite-et-risque-pour-sante/approches-traumatismes-violence-politiques-pratiques.html, ou bien http://www.traumainformedlaw.org/ , ou encore le podcast : https://thetraumainformedlawyer.simplecast.com/ .

[4] Afin de distinguer le sentiment de culpabilité, du sentiment de honte, du sentiment d’humiliation, Brown énonce :

« Shame–I am bad. The focus is on self, not behavior. The result is feeling flawed (…). Shame is not a driver of positive change », « Guilt–I did something bad. The focus is on behaviour. Guilt is the discomfort we feel when we evaluate what we’ve done or failed to do against our values. It can drive positive change and behavior » et « Humiliation–I’ve been belittled and put down by someone. (…) With shame, we believe that we deserve our sense of unworthiness. With humiliation, we don’t feel we deserve it ».