Par Camille Duhaime
En général, nous vivons tous au niveau des évidences irréfléchies, où on tient pour acquis ce qu’on considère comme étant toujours garanti pour nous. Tout comme nous savons que le soleil se lèvera chaque matin, nous comptons également sur d’autres phénomènes pour survivre et nous sentir à l’aise, mais nous le faisons souvent sans trop y réfléchir.
J’ai été confronté à cette réalité, par exemple, lorsque je suis arrivé à Québec et que j’ai rencontré mon colocataire, Jérémie. L’une de mes premières conversations avec lui portait sur les défis auxquels sont confrontés les francophones vivants en milieu minoritaire. Il vient de Sherbrooke, au Québec, et moi de Sudbury, en Ontario, donc nos expériences à cet égard étaient un peu différentes. Comme je viens d’une ville où les francophones ne représentent qu’environ trente pour cent de la population et qu’il a été élevé au Québec, il n’avait jamais connu le même niveau de difficulté lorsqu’il s’agissait de trouver des gens avec qui parler français, de chercher des mots dans sa langue maternelle et de ressentir la perte de son identité culturelle.
Ce qui m’a vraiment frappé dans cette conversation avec Jérémie, c’est qu’il ne s’était jamais rendu compte à quel point il était chanceux de ne pas avoir à continuer à défendre ses droits linguistiques et à s’assurer qu’il y avait des outils à sa disposition dans la langue qu’il préférait, contrairement à moi. À cause de la valeur qui est déjà placée sur la francophonie par les institutions provinciales au Québec, il n’a jamais eu besoin de défendre son droit à l’éducation, son droit à l’accès aux institutions public et aux soins médicaux en français. C’est pourquoi il lui était difficile de faire preuve d’empathie à l’égard d’une personne qui n’a pas ces mêmes droits et qui commet des erreurs de prononciation ou a du mal à trouver ses mots.
Ceci étant dit, c’est au cours de mes premières semaines de stage à Avocats Sans Frontière Canada que j’ai réalisé que j’étais également coupable de tenir certains de mes droits pour acquis, comme ma liberté d’expression et la liberté que j’ai d’essayer de travailler dans le domaine des droits humains. Alors que j’avais l’impression que le travail dans le domaine des droits humains internationaux consistait à convaincre les parties non ratifiées des traités relatifs aux droits humains de respecter leurs obligations internationales (ou à convaincre les gouvernements de l’importance du respect des droits humains), j’ai rapidement remarqué que ce domaine était confronté à beaucoup plus de problèmes que je ne l’avais initialement imaginé.
C’est en suivant ma formation d’intégration au sein de l’organisation et en faisant des recherches sur le contexte politique et judiciaire de certains autres pays que je me suis rendu compte que si le travail dans le domaine des droits humains est considéré comme vertueux dans des pays comme le Canada (avec des codes de droits humains bien établis et un État de droit stable), les militants des droits humains dans d’autres régions du monde pourraient, en fait, être en train de mettre leur sécurité en danger avec ce type de travail. Bien que je sois très enthousiaste à l’idée d’acquérir de l’expérience dans le domaine des droits humains, je n’avais jamais envisagé à quel point c’était un privilège pour moi d’avoir le droit d’effectuer ce travail.
Bref, ce que j’essaie de dire, et ce que ces deux exemples m’ont fait comprendre, c’est que, même s’il est plus facile de remarquer ces erreurs chez les autres, il arrive à chacun d’entre nous de ne pas apprécier une grande partie du confort auquel on s’est attaché. Cela peut créer des préjugés et des suppositions difficiles à surmonter, et nous empêcher de comprendre pleinement les luttes que quelqu’un d’autre peut mener pour faire valoir ses droits. Dans cette optique, il est important d’essayer de briser ces blocages mentaux, de commencer à réfléchir à ses propres privilèges et d’ouvrir son esprit à l’écoute des réalités des autres pour que le travail en faveur des droits humains ait un impact significatif.