L’institut où j’ai effectué mon stage à Hà Nội avait pour objectif de promouvoir les droits des groupes minoritaires au Vietnam, incluant les 53 minorités ethniques. Bien que celles-ci habitent tout le pays, plusieurs groupes ethniques se retrouvent à Tây Nguyên, une région centrale et montagneuse plus difficile d’accès.
Une ville d’importance dans ces montagnes – surtout pendant la guerre – est Kon Tum. Pour m’y rendre, j’ai fait 6 heures de route en autobus de nuit à partir de Đà Nẵng. À mon arrivée vers 4 heures du matin, la ville était sombre, légèrement pluvieuse, et absolument vide. Hà Nội est dominée par les motocyclettes et traverser la rue est chaque fois une rude épreuve. À Kon Tum, il y avait si peu de véhicules que j’étais surprise de pouvoir commander un taxi jusqu’à l’hôtel.
Le lendemain, chú Mạnh me guide à travers les villages ethniques. En entrant dans un village Jarai à 9 heures du matin, nous sommes accueillis par une dame souriante et enivrée qui nous offre à boire : chú Mạnh rit et m’explique que les festivités s’étirent sur plusieurs jours chez les Jarai. Les célébrations revêtent une grande importance et se déroulent principalement en hiver lorsque les récoltes sont terminées, et que les gens se reposent.
Contraste aux célébrations : nous nous dirigeons ensuite vers un cimetière. Il y avait de la végétation, mais étrangement, aucune pierre tombale. À la place, les tombes du cimetière étaient de petites huttes en métal qui abraitent des meubles, des objets personnels, du vin et de la nourriture. Les Jarai, dans leur tradition, enterrent les morts dans ces maisons et leur rendent visite chaque jour, leur apportant des vivres et des souvenirs, comme si les liens n’étaient jamais coupés. Ce n’est qu’après que l’esprit ait quitté ce monde qu’ils laissent la végétation s’épanouir et recouvrir le site. J’ai été étonnée d’apprendre que ces traditions ont traversé les siècles, et ce, bien avant l’apparition des termes droits culturels ou droits de la personne.
De retour à Kon Tum, le café Indochine est vide. Le musée est vide. Il y a toujours de la place dans les restaurants. La ville a chétivement essayé d’aménager une rue piétonnière. Le soir, des lumières tentent de créer une atmosphère et on entend de la musique électronique à plein volume, mais il n’y a personne. D’immenses villas ont été construites dans la région – même dans les villages ethniques – pour le tourisme, mais il n’y a personne. « Y a-t-il plus de gens la fin de semaine? » avais-je demandé à chú Huynh. « Non, il n’y a jamais personne. »
Les gens m’ont demandé ce que je faisais là, si je savais qu’il n’y avait rien ici, pourquoi je n’étais pas à Sài Gòn, Đà Nẵng ou d’autres lieux plus divertissants. D’autres m’ont dit être revenus après plusieurs années, n’ayant rien trouvé de plus beau que leur ville natale. La réalité est que Kon Tum a semé de la confusion en moi. Un sentiment d’incongruité entre les vestiges de la guerre, la chaîne de poulet frit Jollibee, les églises catholiques à tous les coins de rues, et les villages ethniques d’une autre époque. Un sentiment que l’injustice s’imprègne partout : dans la subsistance de ces villages, dans la guerre qui altère – et parfois ravage – la destinée de ceux que j’ai rencontrés, dans ma capacité et mon privilège de visiter ces lieux et d’écrire ces mots, puis de revenir à Montréal sans répercussion. Un sentiment de tranquillité, aussi, face à la splendeur du paysage et l’amabilité des gens. Si votre chemin s’arrête à Kon Tum, passez voir chú Huynh et chú Mạnh. Vous serez les seuls étrangers de la région, mais celle-ci vous créera, à sa manière, une sorte de poésie franche dans la brume estivale.
La rivière Dak Bla à Kon Tum