Par Juliette Vermes-Monty
Avant de commencer mon stage à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, j’espérais surtout approfondir mes connaissances sur le droit international des droits humains, et plus particulièrement sur le système interaméricain. Et c’est exactement ce que j’ai trouvé dès la première semaine: un environnement stimulant, des dossiers complexes, et une institution profondément engagée dans la défense des droits fondamentaux sur le continent. Mais, à ma surprise, mon apprentissage principal s’est plutôt concentré sur les dynamiques sociales, politiques et juridiques propres aux États membres du système interaméricain, ainsi que sur la place du Canada dans celui-ci.



L’entrée principale de la Cour et la sale d’audiences
En travaillant à la Cour, j’ai été plongée dans un espace profondément humain. Chaque jour, je partage mon quotidien avec des collègues venu·es de toute l’Amérique latine. En échangeant avec elles et eux — dans le bureau, à l’heure du dîner ou en dehors du travail — j’ai appris bien au-delà de la Convention américaine et de la jurisprudence de la Cour. À travers les récits, les expériences, les inquiétudes et les espoirs de mes collègues et amis, j’ai découvert les systèmes juridiques et politiques de leurs pays. J’ai compris comment l’histoire politique récente de plusieurs de leurs pays — conflits internes, dictatures, transitions démocratiques — avait façonné leur droit et influencé leur conception de la justice. Cette vision m’a parue à la fois lointaine et familière.
J’ai aussi réalisé à quel point le Canada est institutionnellement éloigné du système interaméricain. Contrairement à la majorité des pays du continent, le Canada n’a pas accepté la compétence de la Cour interaméricaine. Et, en général, il semble souvent regarder vers l’Europe ou l’ONU quand il est question de droits humains, plutôt que vers l’Amérique Latine. Est-ce que le Canada affronte des enjeux et des réalités si distincts des autres pays de l’Amérique, qu’ils empêchent notre pleine participation à un même système juridique régional? Pourquoi y a-t-il si peu de dialogue juridique avec ce système et avec les autres pays de la région, alors qu’on affronte pourtant plusieurs enjeux environnementaux, coloniaux, sociaux et politiques similaires?


La cohorte de stagiaires
Cette réflexion s’est renforcée suivant l’adoption de l’avis consultatif OC-32/25 de la Cour interaméricaine au mois de mai. Cet avis historique reconnaît l’existence de l’urgence climatique et clarifie les obligations des États membres de prendre des mesures immédiates et efficaces afin de protéger les personnes, les communautés et les écosystèmes contre les impacts de la crise climatique. Toutefois, le Canada, n’ayant pas accepté la compétence de la Cour, n’y est pas juridiquement contraint.
Bref, ce stage m’a permis d’en apprendre énormément sur le passé et le présent de ce continent que nous partageons, et j’en suis profondément reconnaissante. Il m’a amenée à me poser des questions que je ne m’étais jamais posées avant sur l’importance du dialogue régional en matière de droits humains, sur les façons dont le droit peut (ou non) répondre aux enjeux sociaux, et sur ce que signifie vraiment « protéger les droits humains » dans un monde aussi fragmenté.



Mais au-delà des apprentissages intellectuels, j’ai aussi beaucoup appris sur moi-même, sur ce qui me passionne, ce qui me touche et ce que je veux faire de ces nouveaux acquis. Et j’ai réalisé que ce sont les échanges humains qui donnent du sens au travail juridique. Que réellement comprendre un système, c’est écouter les histoires de celles et ceux qui y vivent, parce que le droit ne vit pas en vase clos: il est en dialogue constant avec l’histoire, les réalités sociales et les trajectoires individuelles.
