Par Juliette Vermes-Monty
Un des aspects les plus inattendus et enrichissants de mon stage à la Cour interaméricaine des droits de l’homme a été la réflexion identitaire qu’il a nourri. À travers mon expérience au Costa Rica, entourée de personnes venant de partout en Amérique latine, j’ai compris que mon identité culturelle n’était pas aussi unifiée et définie que la leur. Je portais avec moi un passeport canadien, mais ce n’était pas aussi simple que ça. Quand on me demandait de parler de « ma culture », ou qu’on me demandait si on écoute de la musique latine au Canada ou au Québec, je n’avais pas de réponse claire. « Chez moi, oui… dans certains cercles aussi… mais ailleurs, pas vraiment. »
J’ai grandi avec plusieurs cultures. Mon identité est un mélange de cultures québécoises, argentines et cubaines, façonné par le multiculturalisme et le multilinguisme de Montréal. J’ai toujours senti que j’existais entre deux mondes, et mon temps au Costa Rica n’a pas fait exception: je ne suis pas assez « latina » pour comprendre toutes les références de mes collègues, et pas assez canadienne ou québécoise pour représenter pleinement cette culture à l’étranger. Mes collègues semblaient connaître et incarner leur culture avec assurance, alors que moi, je n’y arrivais pas. Je me suis parfois sentie incomplète dans cet entre-deux, et je me suis demandée si mes collègues, curieux de la culture canadienne et québécoise, n’étaient pas déçus de voir que je n’avais pas toujours les réponses à leurs questions.

J’ai fini par réaliser que les « bonnes » réponses n’existent peut-être pas: dans un pays, une province ou une ville aussi multiculturels, chaque personne façonne la culture à sa manière. Mon expérience de la culture québécoise et montréalaise n’est pas incomplète; elle est simplement fragmentée, et enrichie par les autres cultures avec lesquelles j’ai grandi. Ma culture, c’est le franglais, écouter et danser la salsa en mangeant du blé d’Inde à la fin de l’été, apporter du sirop d’érable dans ma valise, avoir des grands-parents vivant à l’autre extrémité du continent américain, et connaître une partie de ces cultures sans jamais complètement en incarner une seule.
Au fond, c’est peut-être ça, ma contribution particulière. Le Canada, le Québec, et surtout Montréal se définissent par leur diversité, leur multilinguisme et leur héritage multiple. Pouvoir appartenir à plusieurs mondes à la fois — ou se reconnaître dans des fragments de chacun — est une richesse, pas un manque. Même si je n’avais pas toutes les réponses, j’ai ressenti une grande fierté d’être trilingue, d’apporter une perspective multiculturelle à mon milieu de travail, et de pouvoir partager ça avec mes collègues, devenus de vrais amis. Et ça, c’est sans doute l’un des plus beaux apprentissages que je garderai de mon passage à la Cour.



