2013 Diya Bouchedid 100x150Diya Bouchedid

Il m’a été demandé de collaborer à la rédaction d’une proposition de projet principalement axé sur la question des déplacements forcés des populations afros en Colombie et de leur droit à la consultation préalable. Une des bases de ma recherche a été le jugement de l’Auto 005 rendu par la Cour Constitutionnelle du pays en 2009, jugement qui représente une percée importante vers la reconnaissance et la protection des droits des Afro-Colombiens. Pourtant, comme il sera exposé plus bas, il est difficile de trouver des traces de l’application de ce jugement au niveau étatique.

Le besoin d’aider les Afro-Colombiens

La notion « Afro-Colombien » est définie dans la loi, la Ley 70 de 1993, qui stipule à son article 2, que les Afro-Colombiens disposent d’une culture propre, de traditions et de coutumes propres ainsi que d’une identité propre. Les fondements juridiques de la protection des communautés afro-colombiennes se retrouvent tant dans la constitution et la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle que dans les obligations internationales de la Colombie en matière de droits de l’Homme et le droit international humanitaire. Néanmoins, comme l’affirme la Cour Constitutionnelle dans l’Auto 005, les Afro-Colombiens restent parmi les peuples les plus affectés par le phénomène du déplacement forcé, et ce malgré le fait qu’ils détiennent un attachement particulier à leur territoire.

Cet effet du déplacement forcé est reflété en partie par leur exclusion structurelle de la population en général. En effet, le document du CONPES (Consejo Nacional de Política Económica y Social) 3310 de 2004 révèle que les trois quarts (¾) des municipalités composées d’une forte population afro-colombienne souffrent des plus bas niveaux de développement du pays. De plus, il existe de fortes tensions au sein des territoires ancestraux. Les décisions d’implantation des entreprises sur les territoires historiquement habités par les Afro-Colombiens sont prises par les conseils municipaux, sans consultation préalable du peuple Afro-Colombien et ce en violation de la Ley 70 de 1993. D’ailleurs, si ces communautés s’y opposent, des pressions sont exercées sur elles pour qu’elles vendent leurs terres.

Finalement, il existe un manque de protection juridique et institutionnelle. Bien que les territoires ethniques aient légalement un caractère insaisissable, imprescriptible et inaliénable, ces garanties constitutionnelles n’ont pas été appliquées adéquatement pour empêcher la violation des droits des communautés afro-colombiennes. Aussi, même lorsque des politiques sont formulées en faveur du peuple afro-colombien, ces politiques ne tiennent pas compte des particularités culturelles de ce peuple. Le droit à la propriété collective n’est pas reconnu, bien qu’essentiel et d’une importance capitale pour les communautés Afro-Colombiennes, car il permettrait une plus grande protection face aux pressions et aux menaces.

Il n’y a pas que les pressions et les violences qui sont à l’origine du déplacement forcé. La faiblesse des mécanismes de protection et le défaut de mise en application des quelques droits reconnus aux Afro-Colombiens contribuent également à l’augmentation du phénomène des déplacements forcés.

Impact du déplacement forcé sur l’identité culturelle des Afro-Colombiens

Étant donné l’importance centrale des droits territoriaux collectifs dans la culture afro-colombienne, ces droits devraient faire l’objet d’une protection spéciale. Or, c’est la violation de ces droits mêmes qui engendre le déplacement des populations afro-colombiennes et la perte de leurs terres. De ce fait, la structure sociale et culturelle afro-colombienne est mise en péril lorsque les communautés sont dispersées, ce qui entraîne des difficultés dans la transmission de la culture afro-colombienne et dans la possibilité de continuer avec un modèle d’organisation sociale et politique qui lui est propre.

L’urbanisation des populations afro-colombiennes implique en effet une réadaptation et peut conduire à une nouvelle personnalisation des éléments qui les identifient en tant que peuple. Leur nouveau milieu de vie leur est souvent inhospitalier et leur présence entraîne des actes de racisme et d’exclusion sociale en tant que groupe ethnique. Cette situation a obligé la plupart des populations afro-colombiennes à retirer leurs enfants des institutions éducatives. Dans l’Auto 005, la Cour Constitutionnelle signale en effet qu’un traitement en faveur du peuple afro-colombien en matière d’éducation nécessite non seulement une accessibilité facilitée et opportune à l’éducation, mais aussi un système éducatif prenant en ligne de compte les conditions ethniques et culturelles de ce peuple. Cette dernière exigence n’a, cependant, jusqu’à présent, pas été prise en ligne de compte dans la politique de l’éducation.

Le déplacement forcé met également certaines populations afro-colombiennes en situation de résistance et de confinement. La résistance et le confinement sont des modalités du déplacement forcé. Par le confinement, les communautés décident de rester sur une partie de leur territoire tout en perdant peu à peu leur mobilité sur celui-ci et, pour quelques communautés, l’autonomie pour pouvoir décider des aspects fondamentaux de leur vie sociale et culturelle. La résistance, quant à elle, consiste pour les communautés à rester sur leur territoire tout en sachant qu’elles pourraient être forcées à se déplacer. Ces deux situations sont totalement ignorées par l’action étatique qui est pour sa part concentrée uniquement sur la réception des personnes déplacées. Or, la résistance et le confinement ne sont pas considérés comme des déplacements.

L’absence de protection effective des droits des communautés afro-colombiennes et tout particulièrement la négation de leur droit à la participation sont les causes principales de cette situation. Sous la Convention 169 de l’OIT, le droit à la participation sert à protéger l’intégrité culturelle des communautés ainsi que leurs droits à un environnement sain et au développement, dans le cadre de leur vision culturelle propre. Or, la faiblesse de l’action étatique colombienne empêche les communautés d’exercer leur droit à la consultation préalable comme moyen de protection de leurs droits collectifs. En conséquence, c’est de l’absence de respect et de mise en application du droit des communautés afro-colombiennes à la consultation préalable que découle l’impossibilité réelle pour ces communautés d’exercer un contrôle social et culturel sur leur territoire.