2015 Chenevert SarahSarah Chênevert-Beaudoin

Première journée de travail, deuxième journée à Rabat, capitale du Maroc. Je suis toute fière de moi – je prends le tramway. Quarante-cinq minutes plus tard, perdue, je prends un taxi. J’arrive finalement, en retard, à ma première journée au Conseil National des droits de l’Homme du Royaume du Maroc. Quartier chic de la ville, complexes immobiliers qui brillent, cafés et restaurants de sushis. À la porte du CNDH, des personnes font une grève de la faim – ils veulent être indemnisés par le programme Instance Équité et Réconciliation. Note à moi-même : parler du travail de cette instance remarquable dans un prochain billet.

Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) est accrédité comme un Institut National des Droits de l’Homme (INDH)et a pour mission la promotion, la protection et la contribution au discours et aux débats sur les droits humains. Indépendant, jouissant d’un statut constitutionnel, le Conseil accompagne, propose, soutient et critique parfois les politiques législatives et gouvernementales du pays. Note à moi-même – les bureaux chics, ça aide la légitimité. La légitimité, c’est fondamental pour pouvoir à la fois accompagner et critiquer.

À mon arrivée, le Maroc tout entier parle du film Much Loved, réalisé par Nabil Ayouch. Interdit par la censure, le film parle du travail du sexe. Le débat sur les réseaux sociaux fait rage – à l’heure du diner, avec les collègues, on parle de mœurs, de liberté artistique, des droits des travailleurs et travailleuses du sexe. Mais forcément, on parle aussi du parti au pouvoir, de la richesse de l’oeuvre cinématographique marocaine, de la montée de l’islamisme. Note à moi-même : aller au cinéma.

Mon premier choc culturel survient à la lecture de l’excellent rapport que vient de publier le CNDH sur l’état de l’égalité et de la parité au Maroc. Les statistiques sur la prévalence des violences dans l’espace public urbain sont organisées en fonction de la tenue vestimentaire de la femme. J’imagine les interrogatoires – ‘Madame, comment étiez-vous habillée? Tenue moderne courte? Djellaba? Tenue moderne longue sans voile? Voile ou burqua?

Le soir, alors que je marche pour retourner au quartier de l’océan, ou d’ailleurs le ciel est plein d’hirondelles, je pense à ces statistiques. Le nombre d’agression et leur classification me choquent et pourtant, je porte des vêtements longs. Je porte une tenue moderne longue sans voile. Les femmes, leur corps, l’espace public. Les statistiques. Les mains aux fesses.

Le document sur lutte contre la violence et la discrimination à l’égard des femmes rappelle l’importance de combattre les préjugés et les stéréotypes. On y parle bien sûr de réformes du curriculum scolaire, de l’institutionnalisation de l’approche genre et de parité institutionnelle. Mais on y parle aussi de règlementer les médias. On suggère d’obliger les opérateurs de communication audiovisuelle à refuser tout les contenus qui incitent les comportements préjudiciables à l’intégrité et à la sécurité physique ou psychologique des femmes. J’imagine une règlementation à cet effet. J’imagine l’argument qui, en vertu de ce règlement, permet de censurer le film de Nabil Ayouch.

J’imagine toutes les questions que je vais me poser cet été.