2015 Beaubien OlivierPar Olivier Beaubien

Cela fait maintenant plus de cinq semaines je vis à Lusaka, capitale de la République de la Zambie, pour un stage avec l’organisme « Disability Rights Watch Zambia ». Moi qui n’avait jamais mis les pieds hors de l’Occident, je m’accoutume lentement mais sûrement au rythme, au mode de vie et à la culture riche et complexe de cette nation.

Dès mon arrivée, j’ai remarqué la pluralité des influences culturelles qu’on retrouve ici. Le pays regroupe plus 72 groupes ethniques qui parlent jusqu’à 46 langues différentes. Alors qu’en région la pluralité des coutumes persiste à ce jour, la capitale est un lieu où tous se rencontrent et où se dessine une culture que les locaux qualifient eux-mêmes de « sud-africaine ». À cette diversité locale s’ajoute la forte influence anglaise. L’anglais est très utilisé à Lusaka, mais s’ajoutent aussi des influences plus subtiles, comme la consommation quotidienne de thé et l’engouement pour les clubs de soccer – de « football », pardonnez-moi – anglais.

Ce n’est cependant pas tout! La ville a de nombreuses et visibles communautés arabes et chinoises. Les derniers sont souvent des travailleurs, venus à la suite d’investissements dans le pays. À la télévision, les programmes les plus populaires sont des soaps latino-américains et des productions de Bollywood; les stations de nouvelles alternent entre CNN, BBC et Al-Jazeera. Un court séjour ici rend évident que la culture occidentale, que plusieurs perçoivent pourtant comme multiculturelle et ouverte sur le monde, est paradoxalement fermée sur elle-même et ses productions culturelles.

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Cette multitude d’influences trouve son chemin jusque dans le droit. En Zambie, le droit coutumier a toujours une place importante dans la vie de plusieurs. Le pays compte des dizaines de chefs traditionnels qui exercent un poids politique non négligeable et plusieurs tribunaux appliquent ce droit coutumier pour régler des questions de droit de la succession, de droit de la famille et de droit des biens.

Il existe à plusieurs égards des tensions entre ce droit coutumier et la common law nationale. Le droit coutumier a par exemple tendance à exclure les femmes de l’héritage de propriété foncière et à diminuer les droits aux pensions en cas de divorce. S’en suit le débat sensible et difficile opposant d’une part les traditions de peuples et d’autre part des valeurs perçues comme progressistes et modernes par certains, et comme un héritage colonial occidental par d’autres. Le débat entre tradition et équité n’est pas sans rappeler certains autres débat qui sévissent en Amérique, comme on peut l’observer dans les tensions persistantes avec les Premières Nations ou les réactions mixtes à la décision de la Cour Suprême des États-Unis. En Zambie, cette tension a cependant une toute autre ampleur.

Ces débats éthiques trouvent leur chemin jusqu’au droit des personnes avec handicap. Un problème récurrent est l’abandon par les pères lorsqu’un enfant naît avec un handicap. Bien que le droit donne certains recours à ces femmes pour obtenir du soutien financier, peu réussissent à l’exercer et à exiger des pensions de leur ex-mari. Un autre problème est que les gens avec un handicap sont souvent mis à l’écart lorsque viennent les questions de succession réglées par droit coutumier.

J’ai récemment participé à une conférence de la « Zambia Land Alliance » dans laquelle j’avais le mandat de représenter les difficultés – trop nombreuses – d’accès à la propriété que vivent les personnes handicapées. On m’y a demandé mon opinion sur la mise en place de quotas pour assurer la distribution d’un minimum raisonnable de terres aux femmes et aux handicapés, et ce même dans les terres traditionnelles sous le contrôle des chefs. La question fut toute particulièrement difficile pour moi. L’histoire de la Zambie commande la prudence lorsque vient le temps d’imposer des lois remplaçant celles des peuples locaux, tout particulièrement si on est un étranger caucasien.

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Alors que j’offrais une réponse nuancée digne du stéréotype de l’avocat, plusieurs membres présents ont appuyé la motion. D’autres ont proposé une collaboration avec les chefs et rappelé que certains de ces chefs avaient pris l’initiative de lutter, à l’intérieur même de leur « chiefdom », contre les mariages d’enfants. Cette intervention simple m’a fait chaud au cœur. Elle m’a laissé optimiste par rapport à l’exercice difficile mais important auquel doit se livrer la Zambie : l’articulation des droits humains fondamentaux dans une culture qui est la leur, et non pas par la culture des puissances impériales du passé.