Un instrument légal avec lequel j’ai beaucoup travaillé, cet été à « Disability Rights Watch Zambia », est la Convention relative aux droits des handicapés de l’Organisation des Nations Unies. Ce traité multilatéral, ratifié par 157 états, constitue indéniablement un accomplissement pour les droits des handicapés et les droits humains. Il est précurseur d’un changement de paradigme; plutôt que de définir un « handicap » comme une dysfonction du corps humain, la Convention le définit comme une conséquence de barrières créées par des sociétés inadaptées aux différences des personnes handicapées.
Un article central à la Convention est l’article 12, qui réitère que toute personne handicapée a droit à la capacité juridique, concept qui nous permet d’exercer nos droits civils en tant qu’agents libéraux et autonomes. Cependant, des tensions ont rapidement surgies lors de l’application pratique de cet article, comme l’illustre bien mon collègue Max Zidel dans sa publication. J’aimerais pour ma part illustrer les tensions internationales qui en découlent.
Le dilemme éthique oppose deux principes juridiques importants. D’une part, il y a le principe de « capacité juridique » et le changement de paradigme que désire promouvoir la Convention. Si le handicap est causé par des barrières sociales, c’est à la société de trouver un moyen d’informer les gens handicapés et de comprendre leur décision. Même si celle-ci devait faire une erreur, ce serait sont droit. D’autre part, il y a le principe de « consentement éclairé ». Si des professionnels jugent qu’une personne a la capacité de comprendre et de consentir, elle peut faire ses propres choix nonobstant les conséquences. Si elle n’a pas une telle capacité, les professionnels pourront alors prendre des décisions pour son propre bien.
Avec mes collègues Pamela Chungu et Bruce Chooma au local de Disability Rights Watch Zambia
Il n’y a pas de réponse universellement acceptée à ce dilemme dans le milieu de défense des droits des handicapés et il n’y en a certainement pas à l’échelle internationale. Le « Comité pour le droit des personnes handicapées » a été créé par la Convention et est composé d’experts nommés par les états signataires. Le Comité a entre autres le pouvoir de recevoir les plaintes des citoyens des états ayant signé le protocole facultatif et de trancher si cet état a enfreint la Convention. Le Comité a émis son premier Commentaire général, dans lequel il défend fermement le principe voulant que les personnes handicapées aient en tous temps la capacité juridique et demande l’abolition des systèmes de tutelles dans tous les pays signataires.
À l’étape même de la ratification de la Convention, certains pays avaient entrevus la possibilité d’une telle interprétation et avaient émises des réservations, notamment l’Australie, le Canada, l’Estonie, la Norvège et la Pologne. Dans leurs réservations, ils interprètent la Convention comme permettant les systèmes de tutelles et ne consentent pas à une obligation de les démanteler. De plus, à la suite de la publication du premier commentaire général, quatre pays ont émis des déclarations dans lesquelles ils contestent cette interprétation de la Convention. Il s’agit de l’Allemagne, du Danemark, de la France et de la Norvège.
D’un côté, le Comité détient certainement une expertise et exerce une influence passive sur l’interprétation de la Convention. Or, plusieurs des pays divergeant de son opinion ont eux-mêmes une excellente réputation au niveau du traitement des personnes handicapées.
Il n’y a pas de solution facile, ni même de « bonne solution », à cette divergence d’opinions. La situation actuelle m’a néanmoins permis de réfléchir aux limites – et même aux dangers – du droit international. Lorsqu’on parle des droits humains les plus fondamentaux, comme le fait la Convention, il est facile de vouloir promouvoir la ratification de traités et le renforcement d’institutions comme le Comité, ayant le pouvoir de tenir les états responsables de leurs engagements. Je demeure convaincu qu’ils seront bien souvent d’excellents outils pour défendre les droits humains.
Or, de telles institutions nécessiteront toujours, en pratique, une centralisation de pouvoir, une perte d’autonomie nationale et une perte de proximité (aucun praticien du domaine de la santé ne siégeait sur le Comité lorsque le commentaire fut émis). La situation actuelle offre une bonne opportunité de réfléchir aux divergences qui surgissent de bonne foi dans la définition des droits humains, aux gains qui peuvent être faits par ces divergences et au rôle que doit jouer le droit international dans de tels cas.