2016 Beauchemin AntoineQuatre semaines de stage plus tard, les brumes commencent à se dissiper.

Par Antoine Beauchemin

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Depuis plusieurs mois déjà, je planifie mon arrivée à Rabat, capitale du Maroc, en vue de travailler au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH). Depuis plusieurs mois déjà, je m’imagine le type de réformes que « je », activiste passionné et fervent défenseur des droits de la personne, pourrais concevoir; à tout le moins, je réfléchis aux influences que ma présence pourrait avoir tant sur le travail collectif du CNDH qu’à plus grande échelle, dans le Royaume du Maroc. Depuis plusieurs mois déjà, enfin, je me montre [en toute connaissance de cause, il faut l’admettre] quelque peu naïf et attends avec impatience de quitter, non sans quelque malaise, le confort de ma vie montréalaise vers les confins d’un État qui m’est inconnu, prometteur de chocs déstabilisants et d’apprentissages enrichissants.

Et c’est au CNDH que je désirais travailler 12 semaines. Le CNDH, organisation merveilleuse et indépendante du gouvernement, assure deux missions primordiales : la protection et la promotion des droits humains. Mon département, la coopération et les relations internationales, se spécialise notamment dans la réconciliation entre la loi nationale et les recommandations internationales en termes de droits humains. Le droit international et les droits de la personne étant deux disciplines éveillant un grand intérêt chez moi, je constate que j’aurai assurément la chance de m’épanouir au CNDH lors des trois prochains mois.

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Il est vendredi après-midi. Je viens de compléter ma quatrième semaine de travail au CNDH et me dirige vers la station de train en vue de visiter Marrakech durant la fin de semaine. Il fait chaud et ensoleillé constamment, continuellement, perpétuellement. Bref, toujours. J’aime.

Depuis mon arrivée au CNDH, situé dans un quartier huppé de Rabat, je me suis immergé dans la lecture de rapports, de projets de recherche, d’actualités et de législations marocaines. Profitant des longues journées de travail qui s’étalent parfois jusqu’à 18h00, j’ai désiré m’immiscer pleinement dans les grandes thématiques abordées par le CNDH afin de pouvoir y apporter des idées et des réflexions de l’intérieur. Le droit étant une science s’élevant pratiquement à la métaphysique, j’essayais d’en délimiter la portée et de rechercher des voies potentielles d’innovations en termes de droits humains. Une mission laborieuse, certes, mais ô combien gratifiante.

Outre mon accent québécois, c’est mon rattachement au Canada qui a attisé la curiosité de plusieurs. C’est d’ailleurs cet aspect qui a orienté la mission principale de mon stage : cartographier les organisations non gouvernementales, les acteurs étatiques, les institutions de recherche en droits humains, etc., établis au Canada, afin de faciliter de potentiels partenariats futurs et d’amplifier la communication outre-mer. C’est un travail en continu et très pertinent qui me fait découvrir tant l’administration marocaine que canadienne en ce qui a trait aux droits de la personne.

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Je quitte néanmoins le bureau quelque peu perplexe : bien que les sujets abordés soient d’un intérêt qui ne laisse planer aucun doute (mariages forcés, COP22, femmes migrantes, élections législatives, etc.), le type de travail et la façon de l’accomplir  demeurent, somme toute, assez vagues.

C’est qu’il y a une disproportion bien réelle entre le temps passé à la recherche sur les droits humains et le caractère « tangible » des résultats qui en découlent. Ma mission principale, bien que fort enrichissante, est un travail formel davantage que substantif; les résultats escomptés ne semblent donc pas, a priori, se concentrer au cœur des droits humains. Je recherche ainsi encore ma voie dans cet univers parfois opaque.

Confronté à cette situation, je conçois deux causes potentielles.

Cause première : il n’y a pas de voie toute tracée, de façon optimale d’aborder les droits humains. À vrai dire, les violations de droits fondamentaux étant toutes uniques et ancrées dans une réalité qui leur est propre, aucun schéma « standardisé » n’est convenable. Dès lors, chercher « la » voie, c’est être dans l’erreur dès le départ. Le travail en droits humains ressort ainsi comme un travail d’initiative, d’autonomie, voire d’essai-erreur; il en relève de chacun(e) de conceptualiser, par ses expériences et sa volonté, de nouvelles voies inexplorées, innovatrices. C’est difficile, car incertain. C’est également parfois irritant, car beaucoup de travail s’effectue dans un brouillard dense, sans résultats visibles, saisissables. Le bonheur du résultat en vaut toutefois la chandelle.

Cause deuxième : je travaille au Conseil national des droits de l’Homme. Il ne s’agit donc pas ici d’une organisation non gouvernementale; il ne s’agit pas non plus d’une Commission œuvrant pour le gouvernement. Le CNDH a le délicat, mais essentiel, devoir de concevoir une liaison entre le national et l’international, mais cela doit être fait de façon discrète, afin de ne pas trop empiéter ni sur l’un, ni sur l’autre. C’est de travailler dans cet espace infini entre deux forces qui me dépassent, en sachant que la fusion sera lente et ne s’opérera pas sans compromis, et en n’ignorant pas non plus que plusieurs groupes vulnérables subissent des violations fondamentales de leurs droits quotidiennement. Donc, il faut agir, mais la direction à suivre n’est pas tracée d’avance.

Or, au Maroc, le national et l’international sont parfois antagonistes à un point tel qu’un jeune stagiaire québécois ne soit confronté qu’à un réel sentiment d’impuissance. Cela représente toutefois un beau défi, qui me motive certainement à poursuivre cette avancée à tâtons avec l’espoir d’un résultat prometteur.

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Extrait d’une conversation fictive :

« Interlocuteur fictif – Antoine, y a-t-il une thématique qui t’attire particulièrement?

Antoine – Oh! Je m’intéresse énormément aux droits de la communauté LGBTI+.

Interlocuteur fictif

Antoine

Interlocuteur fictif

[…]

Interlocuteur fictif –  Non, mais à part ça? »

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Alors que les libertés et droits individuels sont les pierres angulaires de notre système de justice au Canada, cette perspective universaliste n’est pas partagée globalement. Il s’agit surtout, en fait, d’une conception qui s’applique à un contexte et à une société qui sont uniques; elle ne peut, par conséquent, être calquée sans heurts sur un contexte et une société qui sont tout autres.

Le Maroc est l’hôte de violations de droits humains aberrantes sur, notamment, la communauté LGBTI+. L’article 489 du Code pénal marocain criminalise les « actes… contre nature avec un individu du même sexe », dont la peine peut atteindre trois années d’emprisonnement. Les arrestations sont nombreuses et les « criminels », rapidement condamnés. Ici, plusieurs forces paralysantes agissent de concert et densifient davantage les brumes entourant ma volonté d’améliorer les droits et libertés de cette communauté.

En premier lieu, j’opère au Conseil national des droits de l’Homme. Tel que mentionné préalablement, le CNDH ne peut s’aventurer directement sur des terrains qui ne sont pas chapeautés, ou à tout le moins tolérés, par le gouvernement, sans quoi la crédibilité et le pouvoir du CNDH seront contestés. Bref, son mandat ne peut faire fi des politiques nationales discriminatoires, et ce, bien qu’il doive tenir également compte des propositions faites à l’international. C’est une ligne ténue, fragile, voire indomptable.

Ensuite, il est nécessaire de tracer une ligne distinctive, quoique floue, entre mon activisme personnel, qui est nécessairement enraciné dans le contexte montréalais, et l’activisme qui ressort du mandat du NCDH. C’est de ne pas lutter publiquement pour la communauté LGBTI+ comme on le ferait au Québec, car ce type de manifestation n’a pas d’emprise à Rabat. Ma présence au Maroc implique donc de me dissocier de ce qui m’identifie profondément afin de mener un combat plus efficace dans mon nouvel environnement. Une forme d’abnégation qui me choque, me déstabilise, et à laquelle je n’ai jamais été confronté. C’est de lutter pour les droits humains les plus élémentaires dans un contexte où les miens ne sont pas même assurés. Bref, me retrancher dans le mandat du CNDH, car ce dernier a consolidé ses missions dans la réalité qui l’a vu grandir, donc est à même de constater la meilleure façon de provoquer le changement. Là encore, la zone est grise.

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En guise de conclusion, voici quelques petites pensées heureuses qui contribuent au succès de l’expérience globale du stage, de la vie au Maroc et du changement d’environnement. En rafale :

  • J’ai intégré rapidement la tradition du couscous du vendredi midi.
  • Mes collègues de travail sont géniaux/géniales; une belle chimie règne dans les rangs!
  • Chansons du moment : Tracy’s Waters (Patrick Watson), El Manana (Gorillaz), Icarus (Bastille) et Holocene (Bon Iver).
  • Films exceptionnels à (ré)écouter : « Les Évadés », « La ligne verte », « La vie est belle », « Laurence Anyways », « Marock ».
  • Se faire arracher une dent de sagesse, ça fait mal avant, pendant, et après, peu importe où on se trouve sur le globe.
  • Je commence à avoir un bronzage assez phénoménal. J’ai toutefois dû passer préalablement par l’étape des coups de soleil lancinants. À suivre.
  • Mes deux colocataires sont deux Françaises fort sympathiques.
  • Les souks sont légèrement plus populeux que les marchés montréalais.
  • J’aime (adore/admire/adule/etc.) Xavier Dolan.
  • J’étoffe mon compte Instagram ponctuellement, mais je constate ne pas être assidu en la matière.
  • Mon aventure marocaine concrétise jour après jour cette flamme iridescente alimentée par ma passion et mon admiration pour le travail relatif aux droits de la personne.