Marie-Laure Saliah-Linteau
Mon stage à peine terminé, c’est la tête pleine de réflexions et de questionnements que j’ai décidé de partir « sur un coup de tête » au Niger, le pays natal de mon père. Tel qu’expliqué dans mon post précédent, j’ai eu la chance de rencontrer des défenseurs des droits humains de partout dans le monde à travers mon stage à Equitas. Je dois cependant admettre qu’un participant en particulier a retenu mon attention, peut-être est-ce parce que c’est le seul participant du Niger qui a pu obtenir un Visa à temps ? Peut-être aussi est-ce parce qu’il porte le même prénom que mon père ? Quoi qu’il en soit, j’ai gardé le contact avec Amadou et, grâce à lui, j’ai pu poursuivre les apprentissages de mon stage lors de ma visite au Niger.
En effet, j’ai réalisé à travers mon expérience que je ne m’étais jamais vraiment attardée à connaitre les enjeux réels relatifs aux droits humains qui affectent mon pays. Ayant grandi au Canada et visité le Niger à quelques reprises pour voir ma famille, je n’avais jamais poussé mes réflexions plus loin. C’est donc avec un regard neuf que j’ai entamé cette aventure.
Mon nouvel ami rencontré à Equitas, Amadou (à droite sur la photo), m’a invité à visiter la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) où j’ai reçu un accueil chaleureux et où j’ai eu l’opportunité d’avoir des discussions très intéressantes avec certains des commissaires, notamment sur les missions effectuées dans les régions du pays prises d’assaut par l’organisation Boko Haram.
La partie la plus intéressante du voyage a été d’avoir la chance de participer à un atelier de dialogue entre les Organisations de la société civile (OSC) et le gouvernement du Niger organisé dans le cadre du suivi de la mise en œuvre des recommandations du 2e cycle de l’Examen Périodique Universel (EPU-NIGER 2016). Cet atelier était organisé par la Commission Nationale des Droits humains (CNDH), le ministère de la justice Garde des Sceaux, l’UPR-Info de Genève et la Coalition des Organisations de la Société Civile pour L’EPU (COSC-EPU) avec l’appui financier de l’Union européenne.
Ainsi, je me suis trouvée être l’une des 7 femmes assises autour d’une grande tablée de près d’une centaine d’individus, de membres du gouvernement, de journalistes et de défenseurs des droits humains. Je me suis sentie particulièrement privilégiée d’avoir cet accès immédiat aux discours et aux discussions entourant les 167 recommandations sur 168 acceptées par le Niger. Les recommandations sont principalement concentrées autour des droits des femmes, des enfants, de la pauvreté ainsi que de la protection des défenseurs des droits humains. Dans mon post précédent, j’avais écrit : « La leçon que je retiens réellement de cette semaine est que l’éducation aux droits humains ne se produit pas à travers des méthodes conventionnelles et des cours formels, mais à travers diverses interactions sociales qui permettent de remettre en question nos perceptions, conceptions et méthodes. » Or, cette leçon m’est revenue à l’esprit lors de la cérémonie d’ouverture, un des discours a énoncé : « Le gouvernement du Niger a fait le choix de l’approche participative pour mettre en œuvre les recommandations de l’EPU et l’atelier qui commence aujourd’hui représente ce choix par les dialogues qui s’en suivront ». J’ai tout de suite su que j’étais à ma place !
Mes réflexions personnelles ainsi que les apprentissages que j’ai faits à Equitas se sont entrecoupés lorsque j’étais en discussion avec quelques personnes sur la question du mariage forcé des jeunes filles et que toute l’argumentation (que je trouvais irrationnelle) d’une des parties à la discussion reposait sur des phrases comme « cela va contre la culture et la tradition nigérienne ». Lorsque j’ai commencé mon stage à Equitas, j’avais dû rédiger un rapport compilant les enjeux reliés aux droits humains les plus souvent rapportés par les participants, et ce rapport était divisé par régions du monde. Ainsi, je me souviens avoir été frappée par le fait que les barrières ou obstacles à l’avancement des droits humains les plus souvent relatés dans la région de l’Afrique de l’Ouest étaient la tradition, la culture ainsi que de la religion.
Je ne peux pas prétendre que l’atelier ait fait de moi une experte en ce qui concerne les enjeux relatifs aux droits humains qui touchent mon pays, cependant je crois que c’était le meilleur moyen pour moi d’alimenter mes réflexions. Il est certain que j’étais bouleversée par les arguments et les positions de certaines personnes, mais je ne peux laisser ma frustration prendre le dessus quand je sais pertinemment que des enjeux sous-jacents sont à la source de ces prises de position. Ma famille a toujours cru que l’éducation est à la source de l’avancement, et je crois fermement que si ton éducation te dicte dès la petite enfance que « la religion, la tradition ou la culture nigérienne veut que… » il est difficile de se sortir de ces préconceptions. Le travail pour améliorer la condition des droits humains au Niger sera énorme et devra s’échelonner sur plusieurs générations, mais je suis convaincue que des petits changements systémiques surtout au niveau du système d’éducation peuvent faire une énorme différence. Dans tous les cas, je considère déjà que l’approche participative nouvellement adoptée par le gouvernement pour attaquer les enjeux est un grand avancement qui devrait paver la voie vers des améliorations considérables à la culture des droits humains de mon pays et, j’espère un jour voir s’épanouir le Niger magnifique que je connais.
En la mémoire de feu Hassane Saliah (1930- 01/08/2016)