Lucas MathieuPar Lucas Matthieu

Ouagadougou (“Ouaga” pour les intimes) ressemble de plein de façons à ce à quoi l’on s’attendrait de la capitale d’un pays enclavé et sub-saharien. Le flux incessant des motocyclettes, la poussière, les gardes armés dans la rue, la pollution, la chaleur étouffante en cette saison des pluies, les maquis et leur poulet braisé : tout est en mouvement. Pas en ligne droite, vers le sacro-saint Développement, mais comme la trace d’un scooter fatigué qui crache encore, de ses zigzags, emballées, esquives suicidaires et roues arrière héroïques.

Dans cet assemblage, je suis forcé de reconnaitre, bien souvent, des restes – peu entamés – d’hégémonie française. À commencer par la langue, réappropriée certes, mais bien la même. En face de ma chambre, une vielle carte du Burkina indique encore, en légende, la superficie du pays, sa population, et son « maitre colonial » la France. Les antennes Canal+ sont partout, ma carte SIM est Orange et je paye en Francs CFA. Le Burkina Faso vient d’adopter le système LMD.  Bref, la France est omniprésente, sur le plan militaire, industriel, politique, économique, et culturel. La population Burkinabè en a tout à fait conscience. Alors que je marchais hier vers la rue passante pour trouver un maquis (bar/restaurant d’exterieurs qu’on trouve à tous les coins de rue), j’ai entendu un jeune dans un groupe qui criait « J’accuse Trump, j’accuse la France, j’accuse Sarkozy ». La nuit tombait, mais ç’aurait aussi bien pu être l’aurore.

Nous avons parlé du rôle de la France et des États-Unis dans le dispositif militaire Burkinabè et Ouest Africain en général, du système universitaire Burkinabè, des restes de la colonisation et du point de vue Burkinabè sur le la révolution technologique. Il semblait ambivalent sur ce dernier point. Il mentionna que la conquête coloniale européenne était basée sur le Progrès et la Modernité, bref, la fin de l’histoire. Il semblait convaincu de la nécessité pour l’Afrique de s’adapter et d’entamer une transition technologique – il prit notamment pour exemple la Corée du Sud et le Japon – tout en fustigeant le monopole français sur le capital social Burkinabé via la formation d’élites Africaines, l’imposition semi-camouflée su système scolaire Français et la fuite des cerveaux.

En même temps, il paraissait convaincu que la structure sociale africaine traditionnelle était responsable dans une certaine mesure de ce manque de changement. Il m’expliqua que l’écart entre les modes de fonctionnement sociétaux Africain et la rationalité occidentale ne permettait pas un tel saut. On comprend alors à quel point la domination française agit encore ici. Il ne s’agit pas seulement de contrôler, encore aujourd’hui, les ressources des anciennes colonies. Mais, via le soft power français, via Canal+, via Orange, via les publicités étincelantes pleines d’automobiles de luxe, montres érogènes et gratte-ciels parfumés, de créer le récit d’une Afrique immobile et coincée en étaux par ses soi-disant contradictions : culturellement, ni traditionnelle ni moderne; politiquement, ni colonisée ni indépendante; économiquement, pleines de ressource qu’elle serait incapable d’explorer.