Tunis en fleur.

Alix Génier

Il y a quelque chose d’étrangement rassurant de savoir que l’on s’attable avec presque l’entièreté d’un pays. Il est 19h14 et c’est mon premier souper seule depuis que je suis arrivée en Tunisie il y a maintenant deux semaines.

Mon repas est prêt : une salade simple sans trop d’épices, un petit goût de la maison. Mais pourtant je m’abstiendrai de l’entamer avant le coucher du soleil. J’aurai le signal de départ lorsque la petite rue de mon appartement deviendra silencieuse : les enfants qui y jouent de tôt le matin à tard le soir seront rentrés avec leur famille, le son de la prière annonçant la rupture du jeûne aura retenti dans tout le quartier et j’entendrai tinter les ustensiles des maisons voisines. Le silence de la rupture du jeûne. Même si ce Dieu n’est pas le mien, il est celui de mes amis et de ceux qui seront ma famille pour les trois prochains mois.

Le Ramadan est une période de découverte pour moi : découverte d’un pays aux gens généreux et accueillants, découverte de paysages grandioses, découverte d’un soleil chaud qui nous pousse à la sieste d’après-midi, découverte des soirées vivantes. À cause du repos forcé sur la vie des gens, j’ai exploré mon quartier, ma ville et j’ai visité la campagne tunisienne. Par un besoin d’occuper mon corps et mon esprit trop habitués au rythme de vie nord-américain, je me suis retrouvée sur une ferme où j’y ai fait la rencontre d’une famille extraordinaire. Lentement, c’est un mode de vie que je découvre.

Au courant d’une balade nocturne avec ma colocataire tunisienne, elle m’a demandé ce qu’il y avait de différent ici. J’ai répondu le papier de toilette de couleur, la hauteur de marche qui est inégale, le flexible (il me fera plaisir de détailler l’utilisation du flexible dans une conversation personnelle), les coqs qui chantent à toute heure du jour et de la nuit, la beauté des bougainvilliers et la chaleur des gens. Si on ne m’a pas souhaité la bienvenue 150 fois depuis mon arrivée, c’est qu’on ne me l’a pas souhaitée une seule fois. Des gens accueillants qui possèdent une force intérieure, une combativité et un espoir profond que demain sera meilleur.

La plupart des gens avec qui j’ai discuté sont déçus de la tournure des choses depuis la Révolution de Jasmin de 2011 : le taux de chômage demeure toujours élevé (12,4% chez les hommes et 22,7% chez les femmes en 2018), le coût de la vie est encore trop haut pour le salaire moyen et la nouvelle classe politique reste au service de l’élite qui s’est mise en place suite à la Révolution. Bref, c’est « bonnet blanc, blanc bonnet » comme dirait ma grand-mère. Malgré tout, les gens ont espoir que les choses changeront, que la Tunisie peut retourner à ces heures de gloire, qu’elle a toujours ce potentiel énorme. Beaucoup de gens m’ont confié avoir pensé à émigrer au Canada, mais leur patriotisme, leurs racines profondément ancrées et la vie douce et chaude de la Tunisie les a gardés ici. J’admire beaucoup cette flamme qui brulent au creux de l’âme des Tunisiens et des Tunisiennes, cette flamme que nous avons perdue par chez nous. Désillusionnés et abattus, nous sommes amers. Une autre différence entre ici et le Canada est la patience : les gens ici ont compris que cette belle Tunisie est le résultat de plusieurs ères, de plusieurs peuples et de plusieurs projets. La Tunisie n’est pas pressée, elle a tout son temps. À l’image des gens qui l’habitent.

Le Ramadan est pour les Tunisiens et Tunisiennes un exercice de patience, de foi, d’humilité et de confiance. C’est un mode de vie. Même si tous et toutes ne sont pas croyants ou pratiquants, ces valeurs sont, de mon œil d’observatrice encore lointain, le reflet de la philosophie d’un grand peuple.

Les conversations font de nouveau écho dans la rue. Les gens ont terminé de manger chorba (soupe aux tomates et à l’orge), salade méchouia (salade de piments et de tomates grillés et écrasés), briks (pâte phyllo frite farcie d’œuf, de fromage, de persil, de thon ou de viande) et tajines (ressemblant plus à une omelette espagnole qu’à son pendant marocain). Certaines familles auront peut-être sorti quelques petits gâteaux, avant-goût de l’Eïd qui aura lieu dans quelques jours. Quant à moi, mon souper terminé, j’irai rejoindre des amis à la Médina (incroyablement animée en soirée durant ce mois de Ramadan) pour siroter un fameux kahwa arbi, si délicieux et si imprononçable!

Coucher de soleil sur la plage de El Haouaria.