Par Félix-Antoine Pelletier

« The journey is sometimes more important than the destination. »

Laissez-moi vous raconter comment je suis arrivé au Conseil national des droits de l’Homme du Maroc…

Médina (ancienne partie d’une ville) de Rabat

Le processus pour être sélectionné pour l’un des International Human Rights Internships Program m’est familier. Je l’ai expérimenté à deux reprises.

En première année, j’ai soumis ma candidature au programme dirigé par la Professeure Nandini Ramanujam. Je ne savais pas vraiment ce que je faisais. D’une part, j’avais peu d’expérience professionnelle et de vie à mettre de l’avant. Ma maturité m’avait fait défaut. D’autre part, j’avais de la difficulté avec mon anglais. Cela s’est aussitôt ressenti en entrevue lorsque les premières questions posées en anglais sont venues… et qu’il fallait répondre en anglais. L’entrevue a duré 12 minutes. Quelques semaines plus tard, un e-mail m’annonçait que ma candidature n’était pas retenue.

Tanger, Maroc

Parmi toutes les leçons et les valeurs que j’ai tirées du sport de niveau élite et compétitif, il y a la persévérance. Peu importe les circonstances ; peu importe le contexte. J’ai aussitôt écrit à la Professeure Ramanujam et j’ai cédulé un rendez-vous avec elle. Je lui ai demandé : « qu’est-ce que je dois améliorer ? » Elle m’a répondu deux choses : mon expérience et mon anglais.This retroaction marked the beginning of a great journey.

C’est ainsi que j’ai pris mes clics et mes clacs et que je me suis exilé à Ottawa pour l’été 2018. Du mois de mai au mois de septembre, j’ai occupé le poste de Guide parlementaire au Parlement du Canada. J’ai été complètement déstabilisé. Ce fut la première fois que j’habitais dans un endroit que je ne connaissais pas. La première fois que je m’éloignais pour une aussi longue durée de mes proches. La première fois que j’habitais seul en appartement. La première fois que je cuisinais. La première fois que je travaillais dans une langue que je ne maîtrisais pas. Durant cet été, j’ai été amené à présenter des visites du Parlement et du système politico-juridique canadien à des groupes de 35 visiteurs venus de partout dans le monde. 5 fois par jour. Très souvent en anglais. J’ai rencontré des gens formidables, j’ai surpassé mes propres capacités d’adaptation et d’autonomie, j’ai grandi.

Marrakech, Maroc

Professeure Ramanujam, je vous en suis énormément reconnaissant. Avant de m’envoyer au Maroc, vous m’avez envoyé prendre de l’expérience. Je me suis entraîné à sortir de ma zone de confort, à améliorer mon anglais, à développer ma maturité, à prendre de l’expérience de vie. Merci beaucoup pour ce précieux cadeau. J’ai fait énormément de sacrifices – plus que ce qui est descriptible en un seul blog post – en m’exilant à Ottawa pour tout l’été. J’ai tout misé, all in, avec l’espoir de revenir à l’automne, de décrocher une entrevue avec vous, de vous démontrer que j’avais amélioré ce que vous m’aviez conseillé d’améliorer, et de vous présenter le parcours que j’avais parcouru depuis.

À mon retour à McGill à l’automne, en deuxième année, j’ai soumis pour une deuxième fois ma candidature à l’International Human Rights Internships Program. L’entrevue a duré 9 minutes. Mes réponses en anglais ont été satisfaisantes. D’ailleurs, au début de l’entrevue (et de sa propre initiative), la Professeure Ramanujam m’a elle-même introduit aux intervieweurs en leur parlant de mon été à Ottawa et de mon implication communautaire au sein de la Clinique Juridique Itinérante à Montréal.

Conseil national des droits de l’Homme, Rabat

Quelques semaines plus tard, j’apprenais que je partais au Maroc pour l’été 2019. J’avais déroché le stage au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) du Maroc. Mon objectif allait se réaliser.

 

 

 

 

Cascades d’Akchour, Maroc

« The journey is sometimes more important than the destination. » Je réfère à cette citation pour plusieurs raisons. Premièrement, mon expérience à Ottawa m’a donné une aisance remarquable dans les deux langues. Je suis maintenant beaucoup plus confiant et habile en anglais et je me débrouille plutôt bien dans les cours enseignés en anglais. J’arrive de loin, croyez-moi. Je peux maintenant entretenir quasi n’importe quelle discussion en anglais. Deuxièmement, mon expérience à Ottawa m’a enseigné l’autonomie et la débrouillardise. J’ai gagné en maturité et en ouverture d’esprit. Cela forme aujourd’hui le jeune homme que je suis. Toutes ces qualités se récupèrent dans tous les aspects de ma vie. Au-delà de me permettre d’aller au Maroc, Ottawa m’a fait grandir.

Si les objectifs du International Human Rights Internships Program sont de nous faire grandir et de découvrir toutes sortes de choses ainsi que de nous sortir de notre zone de confort, je dirais que la Professeure Ramanujam m’a fait commencer ce processus 1 an à l’avance. Cela a grandement amélioré mon expérience au Maroc.

Conseil national des droits de l’Homme, Rabat

Le CNDH du Maroc est une Institution Nationale des Droits de l’Homme (INDH). Conformément aux Principes de Paris (1992), le CNDH est une institution étatique pluraliste et indépendante du gouvernement. Le CNDH est enchâssé dans la Constitution marocaine de 2011 (article 161) et il a un mandat de protection et de promotion des droits humains.

On retrouve des INDH dans la majorité des pays du monde. Au Canada, il s’agit de la Commission canadienne des droits de la personne. Le CNDH du Maroc est donc l’équivalent fonctionnel de la Commission canadienne des droits de la personne. Pour la durée de mon stage, j’ai eu la chance de travailler dans le Département de la Coopération et des Relations Internationales.

Lors d’un atelier de formation des Mécanismes de prévention de la torture, Rabat

Par mon implication sociale et communautaire en droit criminel et pénal à Montréal, j’ai été habitué à une conception « terrain » et « pragmatique » des droits humains. J’ai été habitué à aller dans des refuges pour personnes en situation d’itinérance, accompagner les usagers en Cour ainsi que chez l’agent de probation, discuter avec les avocats des usagers, planifier des stratégies pour sortir les usagers du pétrin. Bref, à avoir un contact humain avec les personnes que j’aide, à travailler avec « une personne à la fois » et à effectuer du travail à plus petite échelle dont les effets et les résultats sont quasi immédiats.

Au CNDH du Maroc, j’ai eu droit à l’envers de la médaille. Complètement. Là, c’était du travail à plus grande échelle. J’ai découvert une perspective plus « systémique » des droits humains au sein d’une structures plus rigide où les résultats prennent plus de temps à se concrétiser puisqu’ils sont à grande échelle. On découvre alors que plusieurs acteurs entretiennent certains rapports de force sur la scène internationale. Même dans un domaine aussi altermondialiste, empathique, sensible à l’autre et progressiste comme les droits humains, les intérêts sont nombreux et divergents. Par conséquent, ils s’opposent.

J’ai énormément appris sur la liaison inhérente entre le Politique et les droits humains ainsi que sur l’importance pour les acteurs locaux, nationaux et internationaux d’accumuler du capital politique. J’ai été pleinement initié au système onusien et à celui de l’Union africaine. En effet, mon travail au CNDH a été une véritable initiation au système international. Ce stage m’a permis d’apprécier les certaines tensions entourant l’existence de normes, conventions, instruments et mécanismes internationaux qui soient juridiquement non-contraignants.

Tétouan, Maroc

Contrairement à mon expérience à Montréal, j’ai plutôt travaillé assis dans un bureau et dans la salle de réunion à discuter d’enjeux régionaux, nationaux et internationaux ; de manœuvres politiques ; de plans d’action ; de « public policies ». Je suis très reconnaissant d’avoir vécu cette expérience au Conseil national des droits de l’Homme du Maroc, car j’ai eu droit à une perspective complètement différente du travail dans les droits humains.

Cela démontre la grande diversité de postes qu’il est possible d’occuper dans les droits humains.

Pour faire une véritable influence dans le domaine des droits humains, il faut voir au-delà du travail qui soit a priori « juridique ». Les droits humains et le travail dans ce domaine dépassent largement le « droit ». Les tâches dans ce domaine sont infinies et elles sont mutlidisciplinaires.

Stagiaires du CNDH à l’été 2019 : Kaoutar (Maroc), Dejan (Slovénie), Maddie (États-Unis), Blanca (Espagne), Félix-Antoine (Canada)

Certes, j’ai effectué de nombreuses tâches de nature « juridique ». Premièrement, j’ai fait plusieurs recherches liées au droit international. J’ai jonglé avec plusieurs instruments, conventions et normes internationaux. Deuxièmement, j’ai rédigé des plaidoyers fondés sur des bases juridiques pour permettre au CNDH de prendre position et d’émettre des recommandations face à des violations des droits humains perpétrées à l’étranger. Troisièmement, j’ai produit des rapports exposant comment d’autres pays composent avec certaines situations liées aux droits humains. Du travail a priori « juridique », j’en ai eu.

Akchour, Maroc

Néanmoins, la majorité de mes mandats n’étaient a priori pas « juridiques ». À mon avis, ce sont tous les « à côté » qui rendent efficient et pragmatique le travail dans le domaine des droits humains. Au CNDH, j’ai été amené à effectuer plusieurs mandats qui a priori n’ont rien à voir avec le « droit ». Par exemple :

1- J’ai traduit des documents de l’anglais vers le français. Bien que cela ne soit a priori pas « juridique », cela a permis à mes supérieurs (maîtrisant principalement que le français et l’arabe) de prendre connaissance d’un dossier selon toutes ses nuances et de prendre des décisions éclairées quant au sort des relations internationales relatives aux droits humains en Afrique.

Médina de Tétouan, Maroc

2- J’ai traduit une convention collective complète de travailleuses marocaines, de l’espagnol vers le français. Je parle à peine l’espagnol, mais je me suis débrouillé. Bien que cela ne soit a priori pas « juridique », cela a permis au CNDH du Maroc d’adéquatement réagir aux violations des droits humains perpétrées à l’endroit de personnes marocaines dans un pays étranger.

3- J’ai organisé plusieurs évènements d’envergure internationale. J’ai géré la logistique ainsi que rédigé les lettres d’invitation et les communiqués de presse. Bien que cela ne soit a priori pas « juridique », cela a permis à plusieurs INDH africaines de se rencontrer, d’échanger sur leurs bonnes pratiques et de mutuellement renforcer leurs capacités. J’ose espérer que le renforcement des compétences des acteurs locaux issus de plusieurs pays africains améliorera le sort des droits humains dans ces pays. J’aurai été celui qui aura facilité – voire permis – cette rencontre.

4- J’ai écrit plusieurs notes conceptuelles, rapports et synthèses de documents. Bien que cela ne soit a priori pas « juridique », cela a facilité – et surtout accéléré – le travail de mes supérieurs.

Ces quatre exemples démontrent que le travail en droits humains est pluraliste et multidisciplinaire. Il est parfois directement « juridique », mais parfois indirectement « juridique » aussi (c’est-à-dire en support à ce qui sera ultérieurement juridique).

Il y a tellement à faire au Maroc – comme partout ailleurs – que j’ai la ferme conviction d’avoir apporté un changement positif pour les droits humains au Maroc. J’ai augmenté la productivité de notre département et j’ai facilité les tâches de mes supérieurs grâce à mon travail. Le « backstage » est tout aussi important, voire bien plus, que le « front stage ».

Benslimane, Maroc

Certaines personnes s’imaginent peut-être qu’elles travailleront véritablement en droits humains que lorsqu’elles plaideront devant la Cour international de justice ; qu’elles prosécuteront des généraux ayant perpétré des crimes contre l’humanité ; qu’elles seront engagées au OHCHR ; et qu’elles révolutionneront le droit positif d’un pays en voie de développement. En réalité, ce n’est qu’une toute petite partie du travail dans les droits humains.

Essaouira, Maroc

En fin de compte, j’ai compris que le travail « juridique » et « a priori non-juridique » passe au second plan dans le domaine des droits humains. Au premier plan, il y a ce qui prime : les personnes que nous aidons. Human rights are about people. « Juridiquement » ou non, ce sont pour ces personnes que nous œuvrons. Nous devons veiller à leur bien-être, à leur confort, à l’amélioration de leur situation, à leur compréhension de ce qui leur arrive, à leur stabilité ainsi qu’au rétablissement des inégalités qu’elles subissent quotidiennement. Des qualités comme l’empathie et la sensibilité sont essentielles pour œuvrer dans le domaine des droits humains. Merci beaucoup de m’avoir lu et bien à vous.

Félix-Antoine Pelletier