Sandrine RoyerPar Sandrine Royer

Travailler du confort de la maison comporte bien des avantages, que j’expérimente cet été en travaillant à distance pour el Instituto de Democracia y Derechos Humanos de la Pontificia Universidad Católica del Perú (IDEHPUCP). Je me sens incroyablement privilégiée d’être en sécurité et de faire partie d’une équipe engagée et brillante qui, du Pérou, s’est assurée de m’offrir la meilleure intégration possible à l’équipe et au travail. Je suis passionnée par les projets de recherche qui me sont assignés et je suis avide de nouveaux apprentissages. J’en apprends énormément sur les droits humains, et plus spécifiquement sur les droits des femmes migrantes. J’ai également été amenée à découvrir le rôle inspirant de la Commission Interaméricaine des Droits Humains, dont le travail est crucial pour l’avancement des droits humains sur notre continent.

Néanmoins, je me sens parfois bien éloignée de la réalité de mes collègues et des gens pour qui ils travaillent. Je lis des informations, les analyse et sous-pèse leur pertinence dans mes écrits. Je suis évidemment touchée par ce que je lis, mais les statistiques et les descriptions ne me semblent parfois qu’être des échos des recherches que j’effectue normalement dans un cadre académique.

Cette semaine, toutefois, ma perception a changé du tout au tout. En faisant des recherches sur les conditions de vie des migrants vénézuéliens, j’ai lu que certains d’entre eux avaient parcourus à pied les 4,000 km séparant le Venezuela du Pérou. J’ai figé. Et l’information a commencé à m’imprégner. D’un coup, j’ai senti. J’ai senti le désespoir et la peur. J’ai ressenti l’impact sans pitié de la COVID qui a laissé une trop grande majorité des migrants sans emploi et ultimement sans logis ni vivres. J’ai aussi senti la force incroyable et la résilience de ces centaines de milliers de personnes qui ont parcouru tant de route pour trouver la sécurité, qui ont quitté maison, souvenirs, famille pour sauver leur peau.

Sauver sa peau. Un sentiment, une urgence que je ne connais pas, une réalité qui m’est si éloignée. Pourtant aujourd’hui j’en ressens les bribes et j’en frissonne d’angoisse. Et je me sens encore plus loin. J’ai l’impression d’être active pour aider cette population, de mettre la main à la pâte, en quelque sorte. Mieux que rien. Mais trop peu. Et j’ai une douleur sourde à la poitrine en pensant à tout ce qui devrait être fait, ne sachant par où débuter. Pour l’instant je ne peux que me retrousser les manches et travailler de plus belle. Écouter. Apprendre. Ressentir. Même en étant si loin, je me dois d’être attentive et réceptive à la réalité de mes pairs. Je me dois d’accueillir les témoignages, même s’ils me remuent profondément. Surtout parce qu’ils me remuent profondément.

J’entends souvent des personnes autour de moi dire qu’ils n’écoutent plus les nouvelles, qu’ils ne veulent pas suivre l’actualité mondiale parce qu’ils sont trop bouleversés par ce qu’ils y apprennent. Je crois qu’au contraire, c’est parce que l’on est bouleversé par ces images et ces informations qu’il faut les lire et les écouter. J’ai le sentiment que si l’on entendait ce que d’autres humains vivent et que l’on se permettait de ressentir des bribes de ce qu’ils peuvent ressentir, nous développerions une compassion qui remettrait notre monde en question. Un citoyen souhaiterait-il continuer de consommer du fast fashion après avoir visité un sweatshop et rencontré et créé des liens avec ses employés? Voudrait-il continuer de consommer des bananes quotidiennement après avoir vu de ses yeux l’impact des pesticides sur des communautés entières? Après avoir rencontré les personnes touchées ? Je ne crois pas. La déconnexion sélective que beaucoup d’individus choisissent d’entretenir pour protéger leurs émotions a un impact énorme et direct sur la vie de personnes qui sont pourtant étroitement connectés à nous.

C’est ainsi que je décide d’accueillir les émotions qui me viennent en travaillant cet été, sachant qu’il ne s’agit que d’une parcelle de ce que peuvent vivre mes semblables, mais sachant qu’il s’agit probablement d’un début de solution.