2015 Belanger Roy MichelBy Michel Bélanger-Roy

Bien sûr, la différence frappe. Avant même d’atterrir, en voyant par le hublot les banlieues délabrées de Douala, on comprend qu’on n’est plus en Occident. Puis, une fois au sol, le choc s’amplifie. La saleté. Le bruit incessant des klaxons. Chaque première expérience est une surprise : s’entasser avec 6 inconnus dans un taxi collectif (Ah, le siège prend 2 passagers? Bien sûr, assoyez-vous sur mes genoux); faire son marché (Les œufs ne sont pas au froid? Ah tiens, la viande non plus); chercher un appartement (Il n’y a pas d’adresses? Ah bon, les rues n’ont pas de nom). Parlant de rue, la traverser entre taxis et motos qui ne s’arrêtent pas demeure une frayeur quotidienne

Mais on s’habitue. Un peu. Et on découvre les différences qu’on apprécie : la nourriture de rue délicieuse et abordable; la musique africaine; les fruits savoureux; les paysages verdoyants; l’attitude décontractée; la générosité. Je me suis même surpris à souhaiter voir des taxis collectifs à Montréal.

Et au fil des jours, c’est autre chose qui m’a frappé : l’ampleur des inégalités. Il faut dire que mes rencontres sont variées. Entre un repas cuit sur le feu d’une femme de campagne et un scotch versé sur le minibar d’un riche avocat, je fais connaissance avec des gens qui eux ne se côtoient pas. Le mur encadrant la villa de l’avocat y est peut-être pour quelque chose.

Inégalités socio-économiques donc, d’abord. Ici, les Mercedes roulent en bordure des bidonvilles. Comme ailleurs, on affiche sa richesse comme gage de réussite. Mais dans un pays du tiers-monde, le contraste impressionne particulièrement.

Atelier sur les droits des femmes à Mudeka
Atelier sur les droits des femmes à Mudeka

Inégalités de genre ou condition féminine, le thème de mon stage avec Women for a Change Cameroon. Au Cameroun, la loi limite encore l’égalité, notamment en criminalisant l’avortement (Code pénal du Cameroun, Article 337). Plus encore, ce sont des normes culturelles qui perpétuent les inégalités. Le harcèlement de rue demeure pratique courante. Et le passage aux toilettes d’un bar ou d’un restaurant (souvent 3 simples panneaux de tôle dans une cour) rappelle que ces lieux sont conçus pour les hommes. Par ailleurs, inégalités sexuelles et économiques restent intimement liées, les femmes ne possédant que 2% des terres au Cameroun (Cameroon Gender Equality Network, 2011).

Inégalités linguistiques, ensuite. Pour un Québécois, il est fascinant de se retrouver en région anglophone au Cameroun. En effet, la minorité anglophone camerounaise défend fermement ses droits linguistiques face à une parfois oppressante majorité…francophone. Elle revendique même la protection de son système juridique distinct (de Common Law). À part l’inversion des rôles, rien de très dépaysant. Cependant, avec plus de 250 langues locales et dialectes parlés au pays, le portrait linguistique demeure autrement complexe.

Parmi les autres vecteurs d’inégalités, quelques uns sont plus encourageants. Malgré une diversité impressionnante, le Cameroun connaît peu de tensions ethniques ou religieuses et reste très tolérant à ces égards. En revanche, l’état des droits LGBT demeure déplorable.

Finalement, inégalité… internationale. Celle qu’illustre ma présence. Étant l’un des rares « blancs » (mon bronzage impressionne peu) en ville, j’attire forcément les regards. Outre quelques rares remarques moqueuses et des prix parfois gonflés, je n’ai vraiment pas à m’en plaindre. Mais en parlant du Canada avec des Camerounais, je sens bien leur envie. Légitime. Et je constate que même si on les déplore, notre système de santé, nos infrastructures et notre système d’éducation sont autant d’immenses privilèges.

Ce « privilège occidental », facile à oublier à Montréal, est ici exposé aux regards par la couleur de ma peau. Et forcément, ça confronte. Quoi faire avec ce privilège?

À cet égard, une femme demandait récemment à ma collègue ce que je faisais ici.

–       « A human rights internship »

–       « How long? »

–       « 3 months »

–       « And after that…? »

Bonne question, Madame. Bonne question. And after that…?